Diane Audrey Ngako, victime de Violences, libère la parole.
Combien de fois vous a-t-on demandé de vous taire ? « S’il te bat c’est parce que tu l’as cherché » « Contrôle ta bouche » Dans cet interview donné au journal Le temps, Diane Audrey NGAKO, la directrice de communication de l’agence OMENKART raconte son histoire.
En 2011, c’est dans un club parisien que la diaspora connaît bien, La Piedra, que je rencontre celui que j’appellerai Jean dans cet article. Au premier abord, il ne me plaît pas. Il a un côté coincé, un peu bourgeois catholique. Je vis à Courbevoie et lui à Noisy-Le-Grand.
Dans quatre mois, j’irai à Montréal effectuer mon stage, je n’ai donc pas comme projet de vivre une histoire d’amour. Nous nous voyons de temps en temps et puis vient cette phrase: «Tu viens chez moi avec un comportement de pute. Tu arrives, on fait l’amour, tu dors et tu pars. » Je n’ai pas tilté, je me suis simplement demandé ce qu’il voulait. C’était pourtant clair à la base, nous ne vivions qu’une passade.
Ne me demandez pas comment j’ai décidé de changer, de venir plus tôt et d’être plus impliquée dans son quotidien et dans sa vie. C’est ainsi que sans le planifier, nous sommes devenus un couple. Jean était trader, il avait beaucoup d’allure, il connaissait beaucoup de choses, moi je n’avais que 20 ans et la soif d’apprendre, de vivre.
Trois mois après notre rencontre, j’ai remis mon appartement en vue de mon départ à Montréal. Je pensais m’installer provisoirement chez mes parents, mais Jean insiste pour que je vienne chez lui. Toujours naïve, je me dis pourquoi pas. C’est le point de départ de mon calvaire.
Dès mon arrivée chez lui, Jean n’a cessé de me rabaisser, de questionner mes choix, de me dire que je devais rester en France. Roulement de tambours, j’ai finalement décidé de rester et j’ai commencé un stage dans une agence de communication.
Il s’en est suivi deux années terribles, entre coups, blessures, tresses arrachées de mes cheveux, vaisseaux éclatés dans mes yeux, pommettes déplacées… Je n’ai rien dit, sauf à une cousine et une tante. J’avais honte. Comment expliquer que moi qui avais le plus de caractère dans ma famille et mon entourage, j’étais le souffre-douleur d’un homme? Comment?
Je n’avais pas le droit d’arriver en retard. Si je finissais les cours à 17h, je devais être à la maison avant 18h. Sinon: interrogatoire et insultes. J’étais étudiante avec peu de moyens, comparés à ses milliers d’euros de salaire, il me le rappelait toujours. J’ai essayé de partir plusieurs fois mais je suis toujours revenue. Je me souviens du jour où mon amie Sarah*, gênée, me dit qu’elle a reçu des photos de moi nue, me demandant ce que je faisais avec ce psychopathe. Il avait envoyé ces photos à plusieurs personnes de notre entourage.
Sarah avait certainement raison mais psychologiquement, j’avais l’impression que Jean en me salissant, m’humiliant, était le seul qui pouvait me rendre propre, me redonner de la valeur, booster mon estime. C’était un cercle vicieux.
Je ne compte pas les habits qu’il a déchirés, les trouvant trop courts, trop près du corps, trop ceci ou trop cela. Je n’avais pas le droit de porter des tissages, il trouvait que cela me rendait séduisante et que les hommes portaient trop leur regard sur ma personne. Il disait: «Je sais que tu es belle, les autres n’ont pas besoin de le voir.» Jean est devenu mon miroir, je n’existais plus. J’étais devenue un zombie. Je pleurais tellement que, des fois, il me demandait de sortir de la chambre pour dormir au salon, pas sur le canapé mais au sol… c’était là ma place. Le plus dur était de devoir adopter plusieurs visages, en cours, au travail, à la maison, avec les amis, la famille. Je me perdais, j’étais fatiguée. J’étais peut-être en dépression à cette période, mais je ne connaissais pas ce mot.
Un jour, Jean a eu l’insulte de trop, je suis partie un soir d’avril 2013 et je ne suis plus revenue. Je suis restée silencieuse, je voulais être seule face à moi-même. Quelques mois plus tard, j’ai dit à ma mère: «Maman, je suis partie. Je vivais les mêmes choses que toi avec papa, à la seule différence que nous n’avons pas eu d’enfants.» Elle m’a répondu: «C’est bien.» Huit ans plus tard, nous n’en avons toujours pas reparlé.